Décembre 1960, «Algérie algérienne !»

La place de la mairie d’Aïn Témouchent est devenue un lieu mythique depuis le houleux accueil réservé au général De Gaulle, le 9 décembre 1960, à l’issue de sa première étape en Algérie. L’événement est gravé sur une place commémorative pour rappeler aux jeunes générations que c’est à partir d’Aïn Témouchent qu’a pris naissance la vague de contestation, qui a enflammé le reste du pays, un certain hiver de l’année 60. Le petit texte inscrit dans le marbre en langue nationale témoigne que la foule de musulmans a clamé, haut et fort, le slogan «Algérie algérienne». Il est temps aujourd’hui de restituer, dans son contexte, ce fameux credo qui est, en vérité, un slogan gaulliste et non celui du FLN.
Le secrétaire général local de la section des anciens moudjahidin, avec lequel nous avons évoqué les péripéties de l’arrivée du Président français, ne semblait pas saisir la portée de l’expression «Algérie algérienne», repris en choeur par les manifestants musulmans. A sa décharge, le fait que lui-même et bien d’autres orateurs, qui ont discuté sur le 9 décembre, n’ont pas vécu l’événement et, de ce fait, ne pouvaient s’insérer dans un débat objectif pour le déroulement des faits. La propagande et la manipulation, en ces temps forts de la Révolution, créèrent un climat trouble et c’est pour cela que le slogan «Algérie algérienne», qui fusait des poitrines de jeunes algériens, revêtait une signification foncièrement nationaliste. Il était, pour la foule de musulmans, synonyme d’indépendance et de liberté, à telle enseigne que des adolescents et même certaines adultes, encore immatures et encadrés par des éléments de la Section administrative spéciale (SAS) étaient chargés de distribuer des tracts vantant «L’Algérie algérienne». Ils pensaient certainement que cet appel, défendu par les libéraux comme le maire Armaud Orsero, s’opposait à l’autre appel des ultras de «L’Algérie française». A l’époque, seule, une frange de militants du FLN connaissait le sens du slogan, illustrant la doctrine gaulliste intégrationniste et appelant à une fraternisation entre les deux communautés liées au destin de la France. Pour comprendre cela, nous avons recueilli quelques phrases-clé prononcées par De Gaulle dans ses discours et conférences de presse d’avant décembre 60.
Autant d’indices d’appels déguisés et de professions de foi, qui renseignent sur le cheminement de la pensée gaullienne au sujet de l’affaire algérienne. Le général s’est montré au départ prudent, entretenant à dessein le flou jusqu’au paradoxe, dont il usait avec un art consommé de la communication ménageant, d’une part, l0’armée et revendiquant, d’autre part, une politique nouvelle pour l’Algérie. Tacticien averti multipliant les appels à la paix, il avançait à pas feutrés pour imposer son projet d’une Algérie algérienne. Le 4 juin 1958, le discours du forum d’Alger ouvre la brèche à une assimilation toujours confuse. Après le retentissant «Je vous ai compris», De Gaulle déclare : «A partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une catégorie d’habitants, il n’y a que des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs». Le 23 octobre 1958, au cours d’une conférence de presse, il dira : «Que vienne la paix des braves et je suis sûr que les haines iront en s’effaçant».
Il sera plus explicite en évoquant, le 25 mars 1959, la possibilité pour les Algériens de pouvoir disposer d’eux-mêmes, une mesure d’apaisement. Mais, c’est le 16 septembre 1959 qu’il dévoilera le fond de sa pensée : «Compte tenu des données algériennes, nationales et internationales, je considère comme nécessaire que le recours à l’autodétermination soit aujourd’hui proclamé». Deux mois plus tard, dans une allocution prononcée le 10 novembre 1959, il confirmera : «Les Algériens auront à décider d’eux-mêmes de leur destin ». Le 5 mars 1960, le mot tant redouté est lâché durant une tournée dans l’Algérois : «Ce seront les Algériens qui décideront et je vois qu’ils diront : Une Algérie algérienne liée à la France…» Du 25 au 29 juin 1960, les pourparlers de Melun échouent. De Gaulle attendra le 5 septembre de la même année pour répondre aux questions des journalistes : «C’est aux Algériens qu’il appartient, par le suffrage, de décider de leur destin…» L’Algérie algérienne est en marche… Le bon sens, encore une fois, commande que cette Algérie algérienne soit étroitement liée à la France.
Mais, c’est incontestablement le discours du 4 novembre 1960 qui va créer une incroyable onde de choc à Alger. Paul Delouvrier, le délégué général en Algérie, est conspué par la foule des Européens. André Jacomet, le secrétaire général du gouvernement, démissionne, arguant une situation incontrôlable, provoquée pour les propos de De Gaulle, qui a parlé – suprême abandon – d’une «République algérienne qui existera un jour, mais n’a encore jamais existé». L’allusion a dérouté toute la classe politique. Les derniers espoirs s’envolent. Le chemin nouveau pris par De Gaulle au nom de la France conduit non plus à l’Algérie gouvernée par la métropole française mais à l’Algérie algérienne, avec ses institutions, ses lois et ses élus européens et musulmans. On ne savait pas encore si ce projet se fera avec ou sans le FLN. Les événements du 9 décembre 60, par leur ampleur et leur impact, accéléreront le cours de l’histoire et finiront par imposer l’option irréversible de l’indépendance. «L’Algérie algérienne» aura vécu dans l’imaginaire du général Charles De Gaulle. La République algérienne démocratique et populaire accueillera, 47 ans après la fin du rêve français, le président Nicolas Sarkozy venu avec des accents gaulliens, relancer la coopération économique entre les deux états.

Source: Echo-Oran

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