Il était une fois le 7ème art

cinemaLe ministère de la Culture vient de prendre en charge la réhabilitation d’au moins deux salles de cinéma dans chaque wilaya et pour celles qui n’en ont pas, les programmes de construction en cours y remédieront. A l’instar des caves tombées en ruine ou détournées à la faveur de la cession des biens de l’Etat, de belles fermes dépouillées de leur toiture en tuile et de leur marbre, des jardins livrés aux animaux ou des bibliothèques vidées de leurs précieux ouvrages, les anciens refuges du 7ème art connurent eux aussi un énorme gâchis. Ils ont longtemps abrité les rêves de toute une génération, nourri nos espoirs et quelque part excité notre révolte de citoyens de seconde zone durant l’occupation.
Mangala, fille des Indes, refusant la soumission, Gary Cooper châtiant les bandits, Farid El Atrache et son immortelle complainte «Nougoum Ellil», Fernandel, le don Camillo pourfendant l’hypocrisie sociale, l’invincible Hercule campé par le sculptural Steve Reeves et d’autres légendes du cinéma à l’image d’Humphrey Bogart, Henri Fonda, James Dean, Frank Sinatra où Jerry Lewis. En ce temps-là, le Casino de M. Martin, le Capitole de Melle Mercedes, le Splendid de M. James affichaient souvent complet. Mais, il n’était pas question pour les indigènes que nous étions de nous installer au balcon ou aux gradins réservés généralement aux personnes aisées. Et lorsqu’il arrivait d’économiser le prix d’un ticket, c’était pour prendre place à l’orchestre, la partie avant proche de l’écran composée exclusivement de têtes brunes. M. Martin en homme généreux avait l’habitude lors des entractes d’accorder des ristournes aux jeunes musulmans pour remplir l’orchestre. Ils rataient le documentaire et les actualités algériennes mais pouvaient suivre le film dans son intégralité. Au Capitole situé plus bas, Melle Mercedes quant à elle ne tolérait aucune faveur, les resquilleurs étaient systématiquement épinglés.
Le dimanche était un jour à part nous nous positionnons près du cinéma pour suivre l’arrivée des colons montés sur leur 31 et sentant l’eau de cologne. Ils descendaient nonchalamment de leur traction, Vedette, 403, Palace et autres voitures de marque qu’ils étaient les premiers à acheter, les terres d’Algérie et le vignoble rapportaient gros. Les salles de cinéma après l’indépendance perdirent progressivement de leur lustre d’antan. Au nombre d’une dizaine, elles connurent des fortunes diverses à Aïn Témouchent, le Casino, le Capitole et le Splendid ont résisté aux outrages du temps même si ces cinémas sont pratiquement fermés. Il en existe un à El Malah, Chaâbat El Leham, El Amria, Hassi El Ghella, Aïn Tolba et Hammam Bouhadjar.
La wilaya compte actuellement 09 salles plus ou moins récupérables. Le reste du patrimoine hérité de la colonisation a carrément disparu après les transformations opérées sur certains édifices ayant servi au rayonnement du 7ème art. Confiés un temps à l’ONCIC, elles seront par la suite cédées aux communes pour les aider à conforter leurs recettes. C’est à partir de ce moment que la curée a commencé. Les salles sont louées à des privés quand elles ne sont pas aménagées en locaux commerciaux ou administratifs, elles auront vécu. Aujourd’hui, le Casino et le Capitole ont été retenus dans le cadre d’une opération de réhabilitation initiée par le département de la culture, de même que la salle «AFRIC» de Hammam Bou Hadjar. Les vieux cinéphiles se doutent bien que ce sursaut tardif ne sera pas d’un grand secours pour la relance du 7ème art dont le renouveau reste intimement lié au circuit de distribution et à l’implication des professionnels de l’industrie cinématographique. Une cinémathèque par wilaya pourrait constituer un grand pas. Pour l’anecdote, M. Martin, l’ancien propriétaire du cinéma Casino, qui dit-on, n’est plus de ce monde, a ouvert en France une grande galerie composée de 07 salles de projection fonctionnant simultanément avec 07 affiches différentes. De James Dean à Leonardo Di Capprio, que d’eau a coulé sous les ponts…

Source : Echo-Oran

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