Ce n’est pas un poisson d’avril ! A Aïn Témouchent, la sardine ou le fruit de mer de prédilection de la classe moyenne a complètement disparu, ne serait-ce que momentanément, des étals des poissonneries. Même les anchoyades ne font plus partie du décor culinaire témouchentois. Connu surtout par sa sapidité assez particulière, ce clupéidé brille toutefois par son absence. Sa rareté se fait de plus en plus ressentir, notamment dans les deux importants pôles d’exploitation au niveau de la wilaya à savoir les ports de Béni-Saf et Bouzedjar. Cette pénurie remonte, selon certains revendeurs, au mois de septembre. Elle a déjà commencé, disent-ils, à paralyser le marché local et les mareyeurs et sardiniers (pêcheurs) ne cessent de se plaindre de cette crise. Les transporteurs, pour leur part, n’auraient pas manqué d’exprimer leur courroux à l’heure où cette rareté aurait continué à soulever un véritable tollé dans les milieux industriels, plus précisément chez les propriétaires de conserveries.
Les amateurs de poissons ne comprennent pas pourquoi, à Aïn Témouchent, la sardine est vendue au même prix qu’ailleurs, entre 200 DA et 300 DA, alors que la localité bénéficie d’une façade maritime longue de 80 kilomètres et deux ports de pêche dont l’un est considéré comme le plus important en terme de production de poisson bleu. La question à cet égard paraît, on ne peut plus pertinente. Comme nul n’est prophète en son pays, nous allons tenter d’apporter des éléments de réponse face à ce paradoxe qui veut que la sardine se fasse désirer chez elle. Il faut rappeler que la wilaya d’Aïn Témouchent produit, en moyenne, près de 20 000 tonnes de poisson chaque année.
Le poisson bleu dont la sardine représente environ 87% de cette quantité, le poisson blanc 11% et les crustacés 2% seulement. En réalité, la montée des prix enregistrée ces derniers mois touche tous les types de poisson mais, cette fois-ci, la tendance a affûté de manière spectaculaire la sardine que d’aucuns assimilent au «poisson des pauvres».
Les informations recueillies auprès des gens de la mer ainsi que celles fournies par les responsables du secteur de la pêche évoquent, en premier lieu, une faiblesse avérée de la production due, semble-t-il au déplacement dans bancs de sardine. Les spécialistes affirment, en effet, que ce poisson migrateur a fui le littoral pour des raisons biologiques jusqu’à la mi-juin, la saison correspondant au cycle de reproduction. Mais la thèse ne tiendra pas longtemps la route. C’est pour lever une partie du voile que d’anciens marins pêcheurs finiront d’abord par mettre en cause les nouveaux arrivants qui, rétorquent-ils, sont responsables de la surexploitation des fonds. Notre virée au port de Béni-Saf nous a permis également de constater de visu que le prix de ce poisson pélagique est soumis, lui aussi, à la loi de l’offre et de la demande. En effet, ce sont ceux qui payent le mieux -les restaurateurs en particulier- qui arrivent à enlever les caisses de sardine disponibles au niveau du port. Les poissonniers de la localité, faute de moyens, se rebattent généralement sur la «bouga» (la bogue) ou la «lacha» (l’allache) plus appropriés pour la préparation de la «dolma» (poisson kefta). Un plat hautement prisé par les vieilles familles de la localité. En fait, d’autres explications sont venues lever le voile sur cette pénurie de sardine. Certains n’hésitent pas à parler de pratiques déloyales de la part de plusieurs armateurs et patrons de la pêche. Pour eux, la diminution de la ressource s’explique par le recours à l’usage de la dynamite qui pousse le poisson vers le large, à des profondeurs inaccessibles. D’autres pêcheurs avertis évoquent l’utilisation de filets «diaboliques» qui font remonter même les œufs en phase d’éclosion. Enfin, il y a ceux qui pointent du doigt les braconniers de la mer qui orientent clandestinement leur produit de la pêche vers les usines d’anchois où la petite sardine est traitée au sel avant d’atterrir dans les plats des restaurants huppés de la côte espagnole.
De nombreux professionnels de la pêche que nous avons croisés au port de Béni-Saf, s’accordent, eux aussi, à reconnaître que le risque de disparition des espèces comme celle du phoque moine, une espèce qui facilite la capture de la sardine, provoque la rareté de la sardine. Toutefois, une chose est certaine: depuis quelque temps, surtout sur le littoral témouchentois, les marins pêcheurs ne veulent plus s’aventurer dans la pêche de la sardine de peur de revenir bredouilles. Pourtant, tous ces aléas n’excluent pas un retour à la normale. Car, la sardine nous a, par le passé, habitués à ces surprenantes fluctuations des prix. A certains moments n’est-elle pas redescendue à 50 DA le kilo? Aucune raison de désespérer parce que la sardine reviendra à coup sûr à de meilleurs sentiments. Elle se lassera vite des assiettes en porcelaine pour échouer dans les plats de ceux qui l’ont toujours aimée, c’est-à-dire les pauvres…
Source : Echo-Oran