Le soufisme, une approche mystique de l’Islam, constitue une voie d’amour et de paix dans le message d’universalité, qui transcende les frontières. Il est aussi un moyen de lutte contre les maux de la société et de faire barrage à tous les extrémismes. Cette dimension de la foi musulmane – celle d l’intériorité – rend l’islam accessible en tant que projet de civilisation. C’est ce dernier aspect, qui a retenu l’attention de nombreuses personnalités et hommes de religion réunis à la maison de la Culture d’Aïn Témouchent pour débattre du rôle du soufisme ou «tassawuf» algérien dans le développement de la culture arabo-islamique. Durant deux journées, la réflexion défendue par des chercheurs et enseignants universitaires venus des quatre coins du pays, a mis en relief l’apport éminemment bénéfique des penseurs soufis dans l’évolution des sociétés musulmanes Notamment entre les 12ème et 19ème siècles qualifiés d’âge d’or du «tassawuf», qui vit fleurir les grandes communautés de type confrérique, qui s’abreuveront aux sources originelles du soufisme, incarnées par les premiers ascètes de la période des Omeyyades, dont l’illustre Hassan El-Basri (642 – 678) et l’égérie de l’époque Rabia El- Adaouia morte en 801.Cette dernière était une ancienne esclave affranchie qui renonça jusqu’au mariage pour ne consacrer qu’à Dieu et devenir une icône du soufisme, à tel point que ses contemporains lui vouaient une immense estime, voire de la vénération. D’autres figures célèbres de la mystique, comme Al-Halladj (858 – 922), Abou Bakr El-Chibli, Mohamed El-Niffari, El-Kalabadhi ou Abou Taleb El-Mekki (décédé en 996), se sont distingués par leur attachement à l’orthodoxie du soufisme en tant que science de l’islam à part entière, c’est-à-dire une discipline s’adressant à la pureté de l’esprit et du corps et capable d’intégrer tous les arts ou pour se rapprocher de l’exaltation divine.
Et au milieu du 11ème siècle, apparurent des érudits du rang d’El- Sulami Abderrahmane, disciplinede Sarradj, et surtout de Ghazali, lequel approfondira la philosophie soufie, après avoir vécu une crise existentielles à l’âge de 35 ans. Il passera 10 années en reclus, abandonnant les charges officielles, qui étaient les siennes auprès du roi. Ce fut une longue méditation couronnée par une oeuvre exégétique remarquable. Cette période, fertile en réflexions, s’insérera dans la société où l’influence des penseurs soufis, sur l’espace vitale, leur assura une aura définitive. Certaines zaouïas se constituèrent en sociétés de bienfaisance et académiques, s’appuyant sur les vertus du «tassawuf » et donnant lieu à un foisonnement de confréries par arborescence. La «Kadiria» et son clone, la «Tidjania», essaiment en Afrique en passant par le Maghreb. La 1ère branche du nom de Abdelkader El-Djilani (1083 – 1166) s’inscrit dans la ligne d’El Ghazal et de Junaïd. Quant à la seconde elle connaîtra une grande audience à partir du 15ème siècle, rayonnant sur des pays comme l’Inde, l’Arabie, l’Egypte, le Maghreb et plusieurs républiques de l’ex-Union soviétique. C’est dire l’impact de ces «Tourouq » sur la culture arabo-islamique. Parmi les inspirateurs de ce mouvement soufi, nous trouvons également Mohieddine El-Arabi (1165 – 1210), appelée le «Cheikh El Akbar». Des penseurs algériens, se réclamant comme les héritiers de cette transmission initiatique, auront pour noms, entre autres, Mohamed Ben Abdelkrim, El-Meghili de Mazouna formé à Tlemcen et auquel s’est intéressé le Dr Mohamed Hamdaoui de l’université de Mostaganem dans sa conférence. El-Meghili, savant et jurisconsulte, édifia la mosquée d’Agadès en 1505 avant de devenir le conseiller du sultan de Kano (Nigeria). Ce soufi charismatique achèvera sa vie au Touat. Son action humaniste sera également soulignée par le Dr Mohamed Mekahli de l’université de Sidi Bel-Abbès, qui a traité des influences soufies au Soudan, où a séjourné cheikh El-Meghili. L’autre personnage du soufisme, qui marqua son époque, n’est autre que Mohamed Benyoucef Es-Senouci, dont la contribution pour la vulgarisation de la pensée et de la culture soufies est reconnue par ses nombreux disciples, parmi eux, l’érudit Sidi Ahmed Benyoucef. Le Dr Boudaoud Abid de l’université de Mascara a évoqué le parcours des deux penseurs. Et ce sera l’élève Sidi Ahmed, qui dépassera le maître Es- Senouci. A ce sujet, Jacques Berque, le sociologue de Frenda, a consacré un cours (1973/74) au cheikh mystique Sidi Ahmed Benyoucef, le saint patron de Miliana, qui fut un modèle central de l’histoire de la «Tarîqa chadhilya» au Maghreb et un rénovateur du soufisme fidèle à l’esprit et à la lettre d’Abou El Hassan El-Chadhily, imam mystique le plus proche du concept »eloumma wasat» (la communauté médiane). Cette doctrine soufie ou néo soufie se résume à «ni ascétisme coupé de la vie ni dilution dans les affaires du monde», tournée vers le monde du mystère (elgheib) et vers le réel (el haq).
Le cheikh Sidi Ahmed Benyoucef a vécu à l’époque de la perte de l’Andalousie (882). Il partit à Qalâat Béni Rached pour parfaire sa formation auprès de Zerrouk Ibn Bernoussi, un représentant majeur de l’école «Chadhilya» au Maghreb, lequel revêtira Benyoucef du manteau initiatique «khirqa», un symbole de reconnaissance du statut de maître. Le promu fera de multiples voyages entre RES et Alexandrie, privilégiant le contact, la rencontre et le dialogue pour apprendre aux gens à vivre en paix. La voie d’Ahmed Benyoucef était à la fois une source spirituelle, sociale et culturelle. A 60 ans, il s’imposait comme l’organisateur des résistances aux tentatives espagnoles d’occuper le nord du Maghreb. Il s’opposait à l’injustice et à l’oppression, en patriote attaché à l’indépendance de son pays. Cette noble attitude lui valut le respect et l’admiration des pouvoirs ottomans.
Source : Echo-Oran